PRAGELATO, sauvons les GO

PRAGELATO, au soleil froid des Alpes italiennes, au creux d’une vallée piémontaise, à distance en zigzags de la station, je veux dire en banlieue chic de la Voie Lactée, en fait à 20 minutes de taxi de la station ou à 30 minutes de ski par la cabine rouge et une piste bleue assez méchante puis un télésiège chargé, voici le joli Club qui en vérité géographique devrait s’appeler Patte Mouche (oui, oui), mais c’était pas terrible pour le marketing dans le catalogue.
PRAGELATO, est un site superbe et un peu ombré en janvier, car au creux de la vallée, ce fut un des villages olympiques des Anneaux du coin, là où se trouvent le tremplin de saut et aussi les pistes de fond. Que des chalets, très chouette.
Zéro boutique acheter le journal ou un cachet d’aspirine, vous êtes dans la secte et pas d’échappée hors le bus navette qui vous monte à la station 4 fois par jour. Bref, c’est paumé de chez paumé, les Alpes super calmes. Suivant la loterie des affectations de chambres, on sera côté montagne ou côté route, ou au centre du bled. Imaginez une sorte de « village privé » en montagne, avec sa place, ses restos, son dispensaire, sa piscine, son arrivée du téléphérique, son hangar à skis, c’est ça. Donc extra, bien organisé, bien pensé. Chambres grand confort, bonne literie, rangements bien calibrés pour le matos ski. Problème sur la tv, avec des chaines déréglées, pas en correspondance avec la liste fournie, comme dans les hôtels de Djerba dans les années 90. Tu veux France 2 tu tombes sur Rai 3. Après la tv, c’est une autre problématique ; elle serait le nouvel alpha et oméga des Bronzés, donc tu veux une info sur quelque chose qui se passe, t’avais qu’à regarder la chaîne 5.
Clin d’œil du « tu », cause au Club d’aujourd’hui, on te dit « vous ». Une fois, un GO m’a dit « tu », et presque il s’est étouffé après. Hors la lucarne, zéro info, y a pas de programme, PRAGELATO c’est un hôtel plus qu’un Club Méditerranée, un bel hôtel un peu loin des vrais pistes, dans un beau cadre, avec un personnel italien extra comme savent l’être nos amis transalpins, ils ont le sourire, le savoir-vivre, le désir, quelque chose de beau qui vient de l’intérieur et qui fait de tous les autres terriens des admirateurs d’eux.
Et puis les GO, un peuple à part, une ethnie en voie de disparition ou de préservation dans des espaces clos, ces Clubs hérités des Sixties chevelues, un corps professionnel exceptionnel, ni personnels hôteliers, ni animateurs de centre aéré, un peu tout ça, un peu ce que l’on veut, ce qu’ils en font. Moi, je les aime nature, dans le sacerdoce de l’aventure particulière de ce métier spécial, un peu complice de l’hédonisme, un peu gardien de phare, un peu entraîneuse de cabaret, danseur du soir, conseiller du jour, guide des vacances. Mais cela ne fonctionne plus trop avec la nouvelle clientèle qui vient au Club comme elle va ailleurs. Les gars se demandent pourquoi le « serveur » là – en fait un GO – lui demande des trucs perso et se comporte comme un « égal ».
Avant, le GO était un alter ego du visiteur qui ne payait pas son séjour mais qui devait garantir l’accueil du gentil membre. On disait un gentil membre, terme désormais tabou. Aujourd’hui, le GO est à géométrie variable un GO pour un Français qui connait la maison, un simple loufiat d’hôtel pour un autre client, un serveur avec un badge et un peu trop de culot pour tel autre. On ne sait plus et même le Club ne sait plus; d’ailleurs le chef de village rase les murs, ne se présente jamais comme tel, il est sympa, on se dit c’est le directeur clientèle de PRAGELATO, en 7 jours l’ai aperçu trois fois de loin sans que jamais il ne se présente ou soit même identifiable clairement. Après, quand un soir il fait danser tous ses GO à pas d’heure sur des rythmes exotiques, là on sait que seul un chef de village peut le faire. Mais trop d’imprécision nuit à la qualité du produit. La table, qualité imparable, belles assiettes tous les soirs, des corners spécialités, une glace noisette superbe, des cerises confites, des huîtres fraîches comme des ondines, de belles cuissons, une escale italienne excellente, le goûter au pied du téléphérique avec vin chaud et pâtisseries de grande qualité. Spécial dédicace à Luca, le sommelier élégant qui nous fit découvrir, avec un sens aigu de la progression, les meilleures bouteilles d’Italie suivant nos goûts et les repas. N’est-il pas le seul dont on se rappelle le prénom ? Oui, Luca mérite d’autres grands clubs ou hôtels pour que ses talents s’épanouissent au contact d’amateurs exigeants comme lui. Et il est heureux que le Club tienne dans ses écuries des personnels de ce niveau de « grande maison », dont la rentabilité immédiate peut échapper au comptable. En vérité, on vient là parce que les GO sont ce qu’ils essayent de rester, parce que la table est meilleure qu’ailleurs, que les croissants sont bons, que la fête est une (forme de) réalité, que la musique est bonne surtout pour le Mini Club et que l’argent ne circule pas visuellement. Voilà. Perdre une partie de ces atouts, et le Club sera une enseigne de plus ou de moins. Il reste de la marge, même si le péril approche.
Mais ici, dans ce village sans chef et quasi sans GO visibles en mode incarnés, n’étaient Héléna qui fait le cabaret et plein d’autres activités avec une belle générosité, et Luca qui, au soir du départ, vint nous chercher quasi à la porte de sortie avec une bouteille de Sancerre payée et oubliée à l’office, sourire, deux verres, de la glace pilée, vous n’allez pas laisser cette liqueur, à Patte Mouche l’info ne passe pas, tu ne sais jamais ce qui se passe le soir, ni à quelle heure ton gamin sera médaillé en public, ni le code vestimentaire, ni rien, tu ne sais rien de rien, et à 22 h on découvre un « spectacle » amusant que personne n’avait annoncé, non non nulle part, l’application ne marche pas, le serveur télé n’est pas à jour, la réception ne sait rien, et aucun GO n’a été vu depuis le matin. Zéro pointé de l’info, un farfelu de l’accueil te dit de prendre l’application Club sur le smartphone, tu le fais, et tu tombes sur le programme de l’été dans les Alpes, tu lui dis et il dit qu’il va remonter l’info, alors tu mets la télé et tu as l’info du lundi, mais on est mardi. Bref, tu pleures l’époque où tu avais le chef du village en paréo qui te donnait le programme avec un cocktail le soir pour le lendemain tandis que la GO fille de je ne sais quoi, une hispanique d’enfer, te dirigeait vers une table pour bouffer avec six personnes que tu ne connaissais pas.
Souvenez-vous de la chanson de Gilbert B, le Club ce n’est pas fait pour les chiens (La solitude..). Mention spéciale du zéro info au Mini Club de PRAGELATO, tous super sympas, compétents et gentils, mais jamais tu sais le matin pour le soir ce qui va se passer. On dirait de l’impro réussie : à 17 h, la réception dit qu’il y a spectacle Pirates. Mais en fait, Mohamed a changé le déroulé et y a pas. Mon fiston était incapable de donner le nom de quelqu’un du Mini Club de PRAGELATO au bout de 5 j. Et question quand même : quand on va à la mer, au Mini Club, tu fais les jeux en piscine, en mer, du tennis, des jeux, de la plongée, etc. Là, tu es à la neige, mais les petits ne font que… du ski. Et une sorte de spectacle pipeau un soir. Aucune activité dehors, genre compétition de luge, bonhomme de neige, sortie en forêt, je ne sais quoi. Mini Club, mini-idées et ambiance de gentille garderie. Mention aussi au Spa, avec de jolis soins Dr. P. et une piscine à 30 degrés pour se délasser. Comptoir excursions au top, sympa, informés, souriants, de vrais italiens. Dernier soir au salon, le chef de village toujours absent, des parents à la vodka, leurs enfants sautent sur les coussins au son du show.
Tu te dis : je serais venu en célibataire, tu meurs de déprime hors les bouteilles de Luca à vider.
Bref, super séjour quand même PRAGELATO énormes problèmes de sociologie de marque et de communication interne à gérer pour le Club.
Les GO ont perdu le nord et le sud et leur chef : c’est un peuple errant. À sauver.

A propos Vincent

Journaliste, présentateur et producteur de radio, reporteur dans les pays à moustiques, auteur de guides de voyage (Afrique du Sud, Oman, Emirats arabes unis, Qatar), ex-inspecteur Michelin, devenu diplomate par effraction et pour organiser des dîners gastronomiques français avec des starlettes, puis passé à la direction communication sous divers soleils. Voyageur dans plus de 90 pays, amoureux de Rodrigues et de Sainte-Hélène, des paquebots et des déserts, pilote d'avion à hélice à l'occasion. Né au Club dans l'enfance, à Moorea-1974, quand les GO vivaient en paréo. De son bain originel à ses divers avatars actuels, le Club ne peut pas oublier qu'il fut "Méditerranée" : soit une utopie festive et libertaire, comme une projection fondamentalement latine de la vie en liberté. Les cases ne sont plus là, mais j'aime les mille déclinaisons de ce projet social unique et salutaire. Son clergé, les GO, possède, malmène et transforme un code nucléique aussi complexe que la formule d'un grand parfum. Demain, aux temps formatés par les chaînes hôtelières, nous aurons toujours plus besoin de l'esprit du Club : fantaisie du jeu, expression des terroirs, fantasmes tribaux, impasse pour les snobs, rire des enfants.

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3 comments

  1. MDR,chef de village inexistant et go invisibles, le résumé de mon sejour à Pragelato un été où Chamonix était fermé. … résumé trop drôle mais malheureusement trop exact. …

  2. MDR,chef de village inexistant et go invisibles, le résumé de mon sejour à Pragelato un été où Chamonix était fermé. … résumé trop drôle mais malheureusement trop exact. …

  3. Blanchon/Conilleau Nicole

    pourquoi le club garde t-il des chefs de village de ce genre et malheureusement il y en a d’autres, aussi nuls je ne les nommerai pas
    par contre
    Jérémie Gonzales, Pierrejean Montagné julien Armagé, Théo et d’autres que je ne connais pas sont là heureusement et ce sont de vrais chefs de village

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